Mory Djeli, l’artiste aimé, l’homme oublié (Tibou Kamara)

Je l’ai connu, j’aime sa musique. Il y a un moment déjà que Mory Djeli Deen kouyaté avait littéralement disparu, que beaucoup d’entre nous l’avaient oublié, quelque peu. Loin des yeux, loin du cœur, dit-on, pour évoquer nos trahisons, nos défections. Celui qui nous avait appartenu à tous dans ses moments de gloire, lorsqu’il était au sommet de son art, a vécu les ultimes années, probablement, les plus pénibles aussi de son existence, dans le cocon familial, sûr et tranquille. Absent de la scène, loin des projecteurs, peu de personnes avaient de ses nouvelles et en demandaient dans sa retraite silencieuse et forcée, arrivée trop tôt à cause du fardeau de la maladie, rampante et toujours sournoise.

Dans sa Guinée, passer de vie à trépas est si courant et banal qu’on ne pleure plus les morts, n’envie pas les vivants. Comme beaucoup d’autres qui vivent et meurent ailleurs, dans de lointains horizons, Mory est décédé en France, ce samedi matin, incognito. Sans doute, rejoindra-il sa dernière demeure, sur la terre de ses ancêtres, parce que chacun reste attaché à ses origines, à ses racines, à la patrie, même lorsqu’on y a tout perdu ou n’y gagne rien. La mort n’est pas un moment d’intenter des procès ni une occasion de psalmodier des rancœurs ou encore de brandir l’épouvantail de frustrations intimes. On aime notre pays plus qu’il ne nous aime. Un jour peut-être qu’il sera capable de mea culpa et de bonté, de générosité.

En tout cas, si l’homme ordinaire sombre dans l’oubli et le sommeil profond de la mort, impériale, l’artiste, lui, survit à sa disparition, traversant le temps avec ses œuvres, séquestrant les mémoires avec tous les souvenirs gardés de lui, la nostalgie obstinée de ses brillantes prestations, de ses mélodies voluptueuses.

La création artistique, littéraire, n’a pas de passé mouvant et corruptible, disposant d’un avenir garanti à jamais, car imprescriptible, par la fidélité du temps et la constance de l’histoire , la force d’une mémoire impérissable et éternelle.

Dors en paix, notre cher Belebeleba, dans le confort de la sincérité qui nous manque, si cruellement, très loin, de nos fausses certitudes et vanités illusoires.

Tibou Kamara