L’émissaire des Nations unies pour la Libye jette l’éponge. Il estime que l’ONU ne peut « agir avec succès » pour soutenir le processus politique face à des dirigeants qui placent « leurs intérêts personnels au-dessus des besoins du pays ». Très déçu et très découragé du comportement des responsables libyens, accusés d’égoïsme, Abdoulaye Bathily a fini par présenter sa démission hier au secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, avant de l’annoncer ce mardi soir lors d’une conférence de presse à l’issue d’une réunion du Conseil de sécurité où il a dressé un tableau très sombre de la situation en Libye, déchirée par une guerre civile depuis 2011.
Cet historien et homme politique sénégalais a été nommé à la tête de la Mission des Nations unies en Libye (Minul) en août 2022, après des mois de vacance du poste suite à la démission abrupte de son prédécesseur Jan Kubis en novembre 2021. Il a pris ses fonctions à l’automne suivant et a mené plusieurs initiatives pour rapprocher les Libyens et mener le pays vers les élections qui devraient sortir la Libye de la période de transition qui s’éternise depuis 2011.
« Détermination égoïste des dirigeants actuels »
La Minul « a fait beaucoup d’efforts ces 18 derniers mois sous ma direction », mais « ces derniers mois, la situation s’est détériorée », a noté Abdoulaye Bathily, dénonçant « le manque de volonté politique et de bonne foi des dirigeants libyens qui sont contents de l’impasse actuelle ». « C’est très triste, parce qu’en Libye aujourd’hui, l’essentiel de la population veut sortir de cette galère ». Mais « dans ces circonstances, il n’y a aucun moyen pour l’ONU d’agir avec succès », a-t-il jugé, ne voyant « pas de place pour une solution » politique.
Lors de la réunion du Conseil, Abdoulaye Bathily avait annoncé le report de la conférence nationale de réconciliation inter-libyenne prévue le 28 avril, à une date indéterminée. « Il est décourageant de voir des individus en position de pouvoir mettre leurs intérêts personnels au-dessus des besoins de leur pays », a-t-il lancé, partageant son « profond sentiment de déception ». « La détermination égoïste des dirigeants actuels à maintenir le statu quo par des manœuvres et tactiques dilatoires, aux dépens du peuple libyen, doit stopper », a-t-il plaidé. Il a notamment regretté que ses tentatives de répondre aux préoccupations des diverses parties aient été accueillies par « une résistance obstinée, des attentes déraisonnables et une indifférence face aux intérêts de la population ».
« Je pense que ce qui l’a convaincu de jeter l’éponge, c’est la conviction que les choses ne bougeaient pas. À chaque fois qu’il y avait un nouvel acquis, il était devenu difficile de consolider cet acquis pour franchir une nouvelle étape et d’avoir un horizon pour la résolution de cette crise. Il n’a pas eu le sentiment que les parties libyennes étaient prêtes à trouver une solution », analyse Seidik Abba, président du centre international d’études et de réflexion sur le Sahel (Cires).
La Libye est plongée dans le chaos politique et sécuritaire depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011 à la suite d’une révolte populaire appuyée par l’Otan. Miné par les violences fratricides et les divisions, le pays est gouverné par deux exécutifs rivaux. L’un à Tripoli (Ouest) est dirigé par Abdelhamid Dbeibah et reconnu par l’ONU, l’autre dans l’Est, est incarné par le Parlement et affilié au camp du maréchal Haftar, dont le fief est à Benghazi.
(RFI et AFP)