Le jeudi 19 octobre 2023, le Procureur de la République M. Aly Touré a pris une mesure conservatoire de réquisitions aux fins d’interdiction de sortie du territoire national contre 34 Chefs de Division des Affaires Financières (DAF) des départements ministériels et institutions. Cette décision a été adressée au Directeur central de la police de l’air et des frontières afin d’empêcher ces DAF de quitter la Guinée.
Pour justifier, ou du moins tenter de justifier cette décision diversement appréciée par l’opinion, M. Aly Touré s’abrite derrière les dispositions de l’article 16 alinéa 2 de l’ordonnance portant Création, Compétence, Organisation et Fonctionnement de la Cour de Répression des Infractions Economiques et Financières, qui dispose, parlant bien évidemment du Procureur de la République, que : « Dans les affaires relevant de sa compétence, il dispose des prérogatives que la loi confère au ministère public. ». Cette couverture juridique suffit-elle réellement pour justifier cette décision du Procureur Aly Touré ? Y avait-il une urgence pour que le Procureur M. Aly Touré prenne cette mesure provisoire contre 34 DAF au même moment ? A-t-il fait confirmer la décision par le juge ?
Ces questions nous amènent à poser une autre : que disent les manuels de procédures qui gouvernent la gestion publique concernant les rôles des intervenants dans la chaine de dépense ?
En effet, les manuels de procédures qui encadrent la gestion budgétaire en République de Guinée à savoir, la loi organique relative aux lois des finances (LORF) et le règlement général de la gestion budgétaire et de la comptabilité, mentionnent expressément deux principaux acteurs dans la chaine de dépense. Il s’agit de :
1. les ordonnateurs principaux et secondaires ;
2. les contrôleurs financiers.
1. Les ordonnateurs principaux et secondaires
Ils sont chargés « d’accomplir les actes générateurs de recettes ou de dépenses publiques et de constater les droits des organismes publics. » Ce sont les Présidents des Institutions, les Ministres, les Ambassadeurs et Chefs de missions diplomatiques et Consulaires, les Gouverneurs, les Préfets.
Ils « disposent, pour les assister dans leur gestion et préparer leurs décisions, de services financiers soumis à leur autorité. » Ce sont : les Chefs de Division des Affaires Financières (DAF), les Chefs de Service des Affaires financières (SAF), les Chefs Comptables Matière et Matériels, les Personnes Responsables de la Passation des Marchés Publics et les Chefs de Section Budget au niveau déconcentré.
2. Le contrôleur financier
Il est « chargé de veiller à la conformité budgétaire, tant en matière de crédits que d’emplois et à la régularité des projets d’engagement. A ce titre, il exerce des contrôles sur pièces des opérations de dépenses budgétaires du département. » Sans son approbation, aucun engagement de dépense, dans une institution ou un département, ne devrait être possible.
Mais, comme il est question des DAF ici, circonscrivons essentiellement le débat au rôle de ce dernier.
Pour engager une dépense, il y a deux phases :
• la phase administrative comprenant trois phases à savoir, l’engagement, la liquidation et l’ordonnancement ou le mandatement ;
• la phase comptable ou le paiement.
La phase administrative ou l’exécution du budget de l’Etat est « assurée par les ordonnateurs principaux, secondaires et délégués. »
La phase comptable, quant à elle, c’est au trésor public. Selon les manuels de procédures : « Les comptables publics assurent les opérations de recouvrement, de paiement et de maniement des fonds et titres mis à leur disposition. »
La Personne Responsable de la Passation des Marchés Publics (PRMP) joue un rôle important dans la procédure de passation des marchés publics. Elle pilote, en amont et en aval, cette opération.
Quand un contrat est dument élaboré par la PRMP et qu’il est signé par le Ministre de tutelle et approuvé par le Ministre en charge des finances (selon les seuils), c’est ainsi que le DAF rentre en jeu pour engager à la chaine de dépense.
A la lecture des dispositions des documents qui gouvernent la gestion publique et l’ordonnance de mise en place de la CRIEF, on est bel et bien en droit de poser la question de savoir pourquoi seulement les DAF ? D’ailleurs, ces DAF ont-ils tous été dénoncés au même moment au bureau du procureur spécial de la CRIEF pour qu’une procédure judiciaire soit déclenchée au même moment contre eux ? Qu’est-ce qui est réellement reproché à ces DAF ?
Loin de moi, l’intention de jeter en pâture quique ce soit, mais l’opinion a réellement besoin d’être éclairée sur la question, car l’exécution de la dépense publique c’est toute une chaine.
Certes, dans sa mission de requérir l’application de la loi et de veiller aux intérêts généraux de la société, un Procureur de la République peut engager des poursuites contre n’importe quelle personne, s’il constate des infractions dans la gestion de la chose publique.
Mais, à cette allure, beaucoup d’hommes de valeur risquent de quitter le pays, car pour nombre de guinéens aujourd’hui, c’est après avoir cloué des personnes à la maison centrale que la CRIEF se met à chercher des preuves. La dernière sortie de l’ex Président de l’Assemblée nationale, honorable Amadou Damaro Camara, est une parfaite illustration de cette crainte de la population.
En considération de tout ce qui vient d’être dit concernant les rôles de chacun des intervenants cités plus haut, ne sommes-nous pas en droit de nous demander sur quelle base juridique valable sur le fondement de laquelle M. Aly Touré pourrait déclencher des poursuites judiciaires contre les DAF seulement qui ne sont que des assistants, un des maillons de la chaine de dépense, en laissant les ordonnateurs principaux.
Sayon MARA, Juriste