Justice : Pourquoi la suspension d’Israël Kpoghomou et la saisine du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) par le garde des sceaux ?
Après la sortie ratée d’Israël Kpoghomou, le gardes des sceaux, ministre de la justice et des droits de l’Homme a procédé à son remplacement par Maurice Onivogui jusque-là substitut du procureur spécial près de la CRIEF, conformément à l’article 38 de la loi organique L/054/CNT/2013 portant statut des magistrats.
Pourquoi le Conseil supérieur de la magistrature a-t-il été saisi ?
1- Récapitulatif des faits
Dans le cadre des réformes du Ministère de la justice en matière de la protection des droits des détenus, le garde des sceaux, ministre de la justice a instauré depuis son retour de sa tournée au niveau de la Direction nationale de l’Administration pénitentiaire et de la réinsertion, la production du bulletin d’enseignement quotidien permettant d’avoir des informations sur les statistiques réelles de la population carcérale sur toute l’étendue du territoire national. Cette décision fait suite à sa tournée à l’intérieur du pays où il avait constaté les détentions prolongées des détenus, le mauvais traitement infligé à certains et l’absence de contrôle de la chaîne alimentaire. Ces mesures visent à lutter contre les détentions arbitraires et illégales des détenus pour des raisons parfois pécuniaires.
C’est dans cet exercice qu’il a instruit son Directeur en charge de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion de lui fournir le bulletin de renseignement quotidien des établissement pénitentiaires en tenant compte du nombre de condamnés entrants, les personnes placée sous mandat de dépôt, les personnes dont les peines sont arrivées à expiration.
Lundi 22 mars 2023, le Directeur de l’administration pénitentiaire a déposé le bulletin de renseignement quotidien de l’établissement pénitentiaire de Labé. Il ressort de ce bulletin des informations faisant état du décès de M. Abdourahamane Diallo dans les conditions de détention illégales et arbitraires dû à la négligence coupable de Monsieur Abdoulaye Israël Kpoghomou qui a manqué à ses obligations professionnelles constitutives à une faute disciplinaire.
En effet, Monsieur Abdourahamane Diallo a été placé sous mandat de dépôt (mis en prison) pour des faits présumés de vol portant sur divers objets notamment un téléphones SMART 5 et un panneau solaire au préjudice de Monsieur El hadj Amadou Diallo (Le plaignant) par le juge d’instruction.
Le 6 octobre 2022, la partie civile (le plaignant El hadj Amadou Diallo) désistait de son action c’est-à-dire avait abandonné sa plainte contre Abdourahamane Diallo. Comme il est de principe (L’action de désistement de la partie civile ne met pas fin à l’action publique), le juge d’instruction a poursuivi ses enquêtes.
Dès après la clôture de l’enquête, il a communiqué le dossier au Procureur de la République Près le Tribunal de première instance de Labé pour son réquisitoire définitif. C’est-à-dire pour sa décision pour les faits.
Le 25 janvier 2023, le Procureur de la République a fait son réquisitoire tendant au renvoi de l’inculpé devant le Tribunal correctionnel de Labé pour être jugé conformément à la loi.
Le juge d’instruction contrairement au réquisitoire du procureur a rendu sa décision par une ordonnance de non-lieu soutenant que les faits de vol reprochés à Monsieur Abdourahamane Diallo n’étaient pas de la vérité (à cause de l’absence de charges suffisantes). Depuis cette date du 27 janvier 2023, Monsieur Abdourahamane Diallo a été privé de sa liberté sans aucune raison légale d’où sa situation de détention illégale et arbitraire jusqu’à son décès le 22 mars 2023 à 4 heures du matin par suite de maladie à l’infirmerie de la maison centrale de Labé.
2 – Les manquements professionnels constitutifs de fautes disciplinaires
Au terme de l’article 35 de la loi organique portant statut de magistrats :
– Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité de la profession, constitue une faute disciplinaire,
– Constitue notamment une faute disciplinaire imputable à un magistrat, tout acte contraire au serment du magistrat et tout manquement résultant de l’insuffisance professionnelle.
En l’espèce, Monsieur Abdoulaye Israël Kpoghomou en sa qualité de Procureur de la République a manqué de professionnalisme et aux devoirs qu’incombe sa fonction de représentant du ministère public près le Tribunal de Première Instance de Labé où il a été investi de la confiance du garde des sceaux qui l’avait proposé à ce poste exprimant qu’il pouvait être à la hauteur, mais hélas !
Quels sont les points qui ont motivé sa suspension pour faute disciplinaire ?
1- Le manquement lié aux devoirs de son état : Son devoir lui commandait de libérer le défunt dès la notification par le juge d’instruction de l’ordonnance de non-lieu. Il avait cinq (5) jours s’il n’était pas d’accord sur la décision d’exercer les voies de recours contre elle conformément à l’article 292 du code de procédure pénal qui dispose : « Le Procureur de la République a le droit d’interjeter appel devant la chambre de contrôle de l’instruction de toutes ordonnances du juge d’instruction ».
Cet appel formé par déclaration au greffe du tribunal, doit être interjeté dans les cinq (5) jours à compter de la date de la transmission de l’ordonnance.
Le Procureur Général a également, dans tous les cas le droit d’interjeter appel, lequel est formé par déclaration au greffe de la Cour, dans les dix (10) jours de la date de transmission de l’ordonnance du juge d’instruction au Procureur de la République.
« La déclaration d’appel inscrite au greffe du tribunal ou de la Cour d’Appel suivant les cas, est notifié par l’appelant aux autres parties, dans les quarante-huit (48) heures »
2 – Manquement à la délicatesse de sa fonction de Procureur de la République, laquelle l’exigeait, à défaut de voies de recours, signé l’ordre de mise en liberté pour éviter la détention illégale et arbitraire du défunt.
Cette situation de détention arbitraire et illégale a privé l’inculpé de sa liberté, de son droit à un procès juste, équitable et respectueux de son droit à une liberté sans condition. Mais, la négligence coupable liée à la gestion opaque du parquet d’instance de Labé par le Procureur ne lui a pas permis le respect de ses droits fondamentaux, notamment celui de se faire soigner dans une structure hospitalière. La, mort a finalement eu raison sur lui par le fait du non-respect d’une décision de justice qui n’a fait l’objet d’aucune voie de recours.
Le magistrat n’est-il pas le gardien des droits et des libertés des citoyens ?
Le garde des sceaux, ministre des Droits de l’Homme trouve inadmissible et intolérable à l’égard de tout magistrat dont le comportement prive un citoyen de son droit à la liberté après avoir été blanchi par la justice, sachant que la détention est l’exception et la liberté le principe.
3-La régularité de la procédure de suspension
Sur le fondement de l’article 38 de la loi portant statut des magistrats, le garde des sceaux, ministre de la justice saisi d’une plainte ou informé d’un fait de nature à entraîner une sanction disciplinaire contre un magistrat, après vérification, met en mouvement l’action disciplinaire saisissant le Conseil Supérieur de la Magistrature. Il peut suspendre par arrêté le magistrat mis en cause pour une durée qui ne peut excéder trente (30) jours. Toutefois, s’il s’agit d’un magistrat du siège, ce dernier est tenu de rédiger et de signer toutes les décisions rendues par lui dans un délai qui lui sera imparti par son chef hiérarchique. La non-exécution des instructions données en application de l’alinéa 3 ci-dessus, constitue pour le magistrat en cause, une nouvelle faute disciplinaire entraînant de nouvelles sanctions.
En l’espèce ; le garde des sceaux a été informé à travers le bulletin de renseignement quotidien du décès de Abdourahamane Diallo dans la situation de détention arbitraire et illégale suite à l’inobservation des obligations professionnelles de Monsieur Abdoulaye Israël Kpoghomou.
Y a-t-il eu vérification préalable avant l’arrêté de suspension ?
Dès l’information, le garde des sceaux, ministre de la justice et des Droits de l’Homme, avant de prendre sa décision de suspension avait pris le soin de saisir l’inspection générale des services judiciaires et pénitentiaires par courrier en date du 23 mars 2023, vérifiable au niveau des documents transmis au Conseil Supérieure de la Magistrature. Un rapport de clarification en date du 23 mars 2023 suivi de compte-rendu verbal de Monsieur l’inspecteur général des services judiciaires et pénitentiaires a permis de mettre évidence les éléments ci-après
1- L’Inspection constate effectivement qu’une ordonnance de Non-lieu en date du 27 janvier 2023 était rendue en faveur d’Abdourahamane Diallo inculpé du vol ;
2-Notification de ladite ordonnance a été faite le même jour au parquet comme l’atteste l’accusé de réception qui en fait foi ;
3-Aucun recours (appel) n’a été exercée contre cette ordonnance ni par le parquet, ni par la partie civile qui avait désisté de son action à la date indiquée plus haut
L’inspection a conclu l’existence de comportements constitutifs de faute professionnelle et après analyse de tous ces éléments, a demandé avec urgence et insistance au Procureur de la République Près le Tribunal de Première Instance de Labé, rapport circonstancié et explicatif lié à ce cas de disfonctionnement aux conséquences catastrophique, dans un délai maximum de 72 heures, à compter du 23 mars 2023.
Au lieu de faire amende honorable, dans son rapport d’explication fait à son Parquet à Labé le 23 mars 2023, date de sa suspension, Monsieur Abdoulaye Israël KPOGOMOU a tenté vainement de trouver des arguments qui ne tiennent à rien de nature à lui dédouaner de sa responsabilité professionnelle et crie astucieusement à l’acharnement contre sa personne. Il indique dans son rapport ce qui suit :
4- Que l’inculpé décédé fit l’objet d’une procédure de vol, orienté le 05 septembre 2022 par son Parquet (preuve qu’il connaissait bel bien ce dossier) ;
5- Que la procédure a été clôturée par le Juge d’instruction par une ordonnance de non-lieu notifiée au greffe de son Parquet le 27 janvier 2023 (preuve qu’il savait que l’inculpé décédé avait été disculpé pour absence de charge. Par conséquent, rien ne justifiait son maintien en prison) ;
6- Pour tenter de couvrir sa faute, il soutient avoir pris des mesures pour tenter de soigner le défunt. Or, il est établi que c’est à l’infirmerie de l’établissement pénitentiaire qu’il est décédé, lequel établissement est sous la responsabilité administrative du Ministère de la Justice et des Droits de l’Homme à travers sa Direction de l’Administration Pénitentiaire et de la Réinsertion
Il sous-entend que c’est pour des raisons d’inspection qu’il n’avait pas signé l’ordre de mise en liberté et accuse le greffier du Parquet de ne lui avoir pas transmis l’ordonnance (preuve de l’absence de responsabilité dans la gestion administrative si cela était établi. Mais après vérification, son argument s’est avéré non tenable. Car, il n’a effectué aucune inspection pendant ladite période. Si tel était le cas, il aurait non seulement joint les rapport d’inspection a sa note d’explication. Aucun Procureur ne peut faire deux (2) mois de période d’inspection sur le terrain en étant absent de son service sans que le parquet général ne soit informé et le département de la justice sous la responsabilité de laquelle sont placés tous les magistrats du ministère public. En outre, il n’y a pas d’inspection sans rapport destiné au parquet général et l’inspection des services judiciaires. Il a préféré, comme à ses habitudes, utilisé la presse pour montrer qu’il serait victime d’acharnement au lieu de reconnaître sa faute professionnelle ayant couté la vie à un citoyen innocent qui était en situation de détention illégale et arbitraire. Ce sont les raisons entre autres de la saisine du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) et son remplacement par Maurice Onivogui. Au lieu de venir rencontrer le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Droits de l’Homme il a préféré envoyer aux magistrats, aux membres du Conseil Supérieur de la Magistrature les messages peu orthodoxes contraires à son serment de magistrat.
Rama Fils, pour Lerenifleur224.com