Sur RFI, Cellou Dalein Diallo, leader de l’UFDG, s’exprime sur la tragédie de Nzérékoré (Entretient)

En Guinée, après le Premier ministre Bah Oury, grand invité de RFI Afrique, hier, et après la bousculade meurtrière qui a fait au moins 56 morts dimanche dernier à Nzérékoré, place aujourd’hui au principal opposant guinéen, en exil depuis plusieurs mois. Cellou Dalein Diallo réagit aux propos du Premier ministre sur ce drame, et il s’exprime également sur l’avenir de la transition après le 31 décembre prochain

 

Hier sur RFI, le Premier ministre Bah Oury a annoncé la mise en place d’un comité de crise, en plus de la commission d’enquête déjà décidée par le général Mamadi Doumbouya, pour faire la lumière sur ce qui s’est passé à Nzérékoré. Qu’en pensez-vous ?

 

Je pense que le gouvernement est un peu paniqué, car il a pris l’initiative de promouvoir la candidature de Doumbouya pour la prochaine élection présidentielle. Cela constituerait un parjure, car le général, en tant qu’officier, a juré à plusieurs reprises de ne pas prendre part à l’élection qu’il organiserait pour le retour à l’ordre constitutionnel.

 

Mais Mamadi Doumbouya n’a jamais dit qu’il sera candidat ?

 

Dans la Charte de la transition, les articles 46, 55 et 65 interdisaient à tous les responsables de la transition de se porter candidats à ces élections. Or, ces dispositions ont été supprimées dans l’avant-projet de constitution, ouvrant ainsi la voie à une éventuelle candidature du général Doumbouya. Depuis, on assiste à une vaste campagne de promotion et de justification de cette candidature. C’est dans ce cadre qu’a été organisé le tournoi de football ayant conduit à la mort de plus de 135 personnes.

 

Le Premier ministre a reconnu qu’il y a eu impréparation et incompétence dans l’organisation de ce tournoi. N’est-ce pas un discours de vérité qui mérite d’être salué ?

 

Quel discours de vérité ? Lorsqu’une tragédie de cette ampleur survient, le gouvernement cherche à se justifier. Non seulement le stade ne répondait pas aux normes, mais aucune mesure n’a été prise pour assurer la sécurité des participants. Cela explique les dégâts que nous déplorons aujourd’hui. Cet événement s’inscrit dans un contexte où des concerts géants, des tournois de football et d’autres manifestations sont organisés pour promouvoir cette candidature, même si Doumbouya ne l’a pas encore officiellement déclarée.

 

À ce propos, Bah Oury a également annoncé que désormais le nom et l’image du général Doumbouya ne seront plus associés à aucune activité sportive et que toutes les manifestations doivent désormais être encadrées. N’est-ce pas une bonne chose ?

 

C’est pourtant le gouvernement et le CNRD qui ont choisi de présenter Doumbouya comme un bâtisseur indispensable pour le développement de la Guinée. Ce sont eux qui ont associé son nom et son image à ces manifestations, organisées dans tout le pays.

 

Vous faites partie des Forces Vives qui, dès le lendemain du drame, ont estimé que la junte du CNRD est, je cite, « le seul et unique responsable de cette immense tragédie ». Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

 

C’est simple : ce sont eux qui ont organisé ce tournoi pour promouvoir la candidature de Doumbouya, sans prendre les dispositions nécessaires pour assurer la sécurité des participants. Vous savez, aucun stade en Guinée ne répond aujourd’hui aux normes internationales. Tous les matchs officiels sont joués à l’extérieur. De plus, ils ferment les écoles à chaque manifestation pour mobiliser les jeunes élèves et donner une fausse image d’adhésion populaire à ce projet de candidature. Cette irresponsabilité les rend seuls responsables de ce drame.

 

Vous dites que le pouvoir est responsable de cette catastrophe, mais ce ne sont pas les autorités qui ont prémédité cette bousculade. Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de vouloir exploiter un drame humain à des fins politiques ?

 

Il faut chercher les causes profondes. La candidature de Doumbouya est illégale et illégitime. En tant qu’officier, il a juré devant la Cour suprême, le peuple de Guinée et la communauté internationale de ne pas participer aux élections. Aujourd’hui, pris par le goût du pouvoir, ils ont décidé de le dispenser de cet engagement. En organisant ces manifestations grandioses, sans précautions pour garantir la sécurité des citoyens, ils sont les seuls responsables de ce qui est arrivé. Ils doivent en répondre.

 

Le Premier ministre maintient le bilan provisoire de 56 morts, tandis que le Collectif régional des organisations de défense des droits humains évoque 135 morts et plus de 50 disparus. Quelles sont vos informations sur le bilan ?

 

Les informations que j’ai obtenues auprès des responsables de mon parti sur place parlent de plus de 100 morts. Les responsables de la diaspora forestière évoquent 300 victimes, tandis que les organisations de la société civile à Nzérékoré estiment qu’il y a 135 morts et plus de 50 disparus. Cela semble correspondre à la réalité.

 

Faites-vous confiance à la commission d’enquête mise en place ?

 

Cela dépendra des personnalités sélectionnées pour en faire partie. En Guinée, et plus largement en Afrique, il y a une tendance à soutenir le bilan annoncé par les autorités, qui sont gênées par cet événement. Elles savent qu’elles sont responsables de l’organisation de cette manifestation sans aucune mesure de sécurité.

 

 

Décryptage de Ousmane Baldé, pour lerenifleur224.com