Kankan : Le Procès en appel des meneurs de la manifestation contre le délestage du courant électrique tarde à se tenir (Retour sur les moments forts de l’évènement)
Tout est parti suite à une manifestation de rue déclenchée dans la nuit du lundi 27 au mardi 28 mars 2023 par des jeunes de la cité du Nabaya, agacés par le très faible niveau de la desserte électrique. En plus d’avoir barricadés les routes, brûlés des pneus et le portrait du chef de l’Etat au centre-ville, ces jeunes manifestants en colère ont même jeté des pierres au domicile familial de ce dernier sis au quartier Banakoroda, comme dans le passé les agents des forces de défense et de sécurité sont intervenus avec la manière forte. Des tirs de gaz lacrymogènes, des coups de feu de sommation ont retentis durant cette nuit. Résultat, une dizaine de blessés dont une femme enceinte.
Au cours de cette manifestation nocturne de ce lundi, les agents de forces de l’ordre qui ont fait usage de leurs armes à feu, ont aussi procédé à plusieurs arrestations, dont un militaire de la deuxième région militaire infiltré parmi les manifestants, ils sont tous en audition à la sûreté de Kankan. Interrogé Ousmane Mbia Kaba le leader du mouvement des jeunes citoyens et activiste, militant depuis le régime précédent pour l’électrification de la région de la Haute Guinée, le mouvement « pas courant pas dort », nous a laissé entendre que :
« Toutes les manifestations qui se passent à Kankan ici pour exiger la bonne desserte du courant, il faut savoir que c’est nous qui sommes à la base. Mais par respect pour le mois de Ramadan, nous avions décidé d’observer une trêve. Cependant ce qui s’est passé cette nuit, c’est que c’est Directeur Nationale de la société EDG venu à Kankan, qui a promis sur les ondes des médias que durant ce mois de Ramadan, la desserte en courant de la ville qui était de 19 heures à 2 heures du matin, serait revue à la hausse et qu’elle sera désormais de 18 heures jusqu’à 6 heures du matin sans interruption. Les citoyens y ont cru. Et ils ont été complètement déçus de constater le moment venu que le Directeur les avait mentis. Car jusqu’à 19 heures, ce jour-là, il n’y avait pas de courant dans les ménages. Et c’est ainsi que de retour de la prière, plusieurs jeunes ont laissé libre recours à leur colère et s’en est suivi tout ce qui s’est passé. Dans la foulée de la manifestation, ils ont fait venir le courant mais c’était trop tard, les gens avaient déjà pris d’assaut les rues du centre-ville, voilà ce qui s’est passé. Donc ce n’est pas nous qui avons appelé à cette manifestation, nous avant de manifester on dépose une lettre à la Mairie et c’est pendant la journée et non pas la nuit que nous faisons nos réclamations. Néanmoins étant les initiateurs de cette lutte, nous nous sommes renseignés et on nous a fait savoir qu’il y a eu plusieurs jeunes arrêtés. Le lendemain, sans chercher à comprendre, ils ont commencé à nous rechercher, nous traqués et moi j’ai été arrêté pendant que j’étais en émission à la radio espace FM de Kankan par des agents de la police », a-t-il raconté.
La semaine suivante , Nous avons constaté la présence de plusieurs agents de la gendarmerie et de la police en plus de plusieurs blindés de bérets rouges dans la ville du Nabaya dont parmis eux s’y trouvaient le haut commandant de la gendarmerie nationale, le Colonel Balla Samoura, dont jusqu’à date nous ignorons les réels motifs de ce déplacement vers le Nabaya .Après donc l’arrestation du leader du mouvement « pas courant pas dors », Ousmane Mbia Kaba le jeudi, dans les locaux de la radio Espace, ça aurait pu être au tour le dimanche du jeune Kabinè Sômônô Condé. Quelques pick-up remplis de policiers et des éléments de l’unité d’élite GFIR, ont effectué une descente très musclée à son domicile. Ayant pris la fuite, ils ont embarqué certains membres de sa famille avant de les libérer quelques heures après. Joint au téléphone depuis sa cachette, il nous a relaté la scène” Quatre (4) pick-up des forces spéciales et de la police ont débarqué chez moi ce matin, alors que j’étais parti à mon lieu de travail en ville et ma femme aussi était allée travailler, donc la porte de la maison était fermée. Les agents ont demandé un enfant dans la cour qui leur a montré ma maison, ils ont défoncé la porte et celles de mes voisins. Dans ma maison, ils ont pris 18 millions dans un sac dans mon armoire, ils ont pris également une somme de 800.000fg qui était déposée sur mes documents, en un mot ils ont vandalisé la maison et sont partis. Quand ils ont vu que je ne suis pas à la maison, ils ont attrapé mon grand frère pour une destination inconnue.” Mentionne ce jeune leader
A la question de savoir qu’est-ce qui lui serait reproché il indique :
« Je ne sais pas pourquoi on me recherche, peut-être c’est parce que je me suis mêlé au problème de courant, mais je ne connais pas le motif réel. On ne m’a pas envoyé de convocation ni rien »
Par ailleurs, il faut notifier que plusieurs autres jeunes du mouvement de contestation anti-délestage électrique, joints au téléphone nous ont confié être ciblés par cette traque qui était en cours. Toutes les sorties de la ville étaient sous contrôle. Le colonel Balla Samoura, le matin du dimanche s’est longuement entretenu à huit-clos avec les autorités administratives et judiciaires de la place ainsi que certains jeunes qui étaient déjà mis aux arrêts à la Cour d’Appel de Kankan. Dans un communiqué, le Procureur Général près la Cour d’Appel de Kankan, Fallou Doumbouya, est sorti du silence, face aux opérations de « traque aux manifestants » qui ont fait assez écho dans la cité. Dans ce communiqué de presse signé à la date du dimanche 02 avril, il est marqué qu’en marge de ces opérations de traque : 22 personnes ont été interpellées et entendues sur procès-verbal puis déférées et placées sous mandat de dépôt. Par le parquet d’instance suivant la procédure du flagrant délit », A-t-il mentionné avant de préciser aussi que parmi ces 22 suspects figurent 2 mineurs de moins de 13 ans qui ont été remis à la disposition de leurs parents sur le fondement de l’article 549 du code de l’enfant. Toujours selon ce communiqué les faits qui sont articulés contre ces suspects arrêtés sont les suivants : « la participation délictueuse à un attroupement non autorisé sur la voie publique, destruction et dégradation d’édifices publics, entrave aux mesures d’assistance et complicité de ces chefs ».Alors que des agents ont vandalisé le domicile et embarqué le frère de l’un des suspects en fuite dans cette affaire, un suspect qui accuse même les agents qui se sont rendu chez lui, d’avoir dérobé de très fortes sommes d’argents dans sa chambre, poursuivant le chef du parquet général de Kankan précise dans ce communiqué que : « c’est dans le cadre de la continuation des enquêtes qu’ une visite domiciliaire a été effectuée chez le suspect Kabinè Sonomo Condé sur le fondement des articles 63 et 129 du code de procédure pénale », a-t-il souligné avant d’assurer aussi que « cette visite a été effectuée en la présence du procureur de la république et de deux autres témoins requis à cet effet sur la surveillance du parquet général de Kankan. Après l’arrestation de la vingtaine de jeunes suspectés, s’est ouvert un procès le jeudi 6 avril 2023 au tribunal de première instance de Kankan qui était plein à craquer pour la circonstance. En tout ils ont été au nombre de 23 dont une femme et un mineur de 16 ans à comparaître devant le Cour Correctionnel dans cette affaire. Ils sont poursuivis entre autres pour des faits de destruction, dégradation d’édifices ou installation publique, participation à un attroupement, provocation directe à un attroupement non-armé, complicité de destruction et dégradation, abstention délicieuse, entrave à la saisine de la justice, tentative d’extorsion et incitation à la violence. A l’issue d’un débat particulièrement houleux, entre les avocats de la défense et le procureur Daouda Diomandé, les juges ont décidé de retirer les faits de tentative d’extorsion qui était retenue à l’encontre d’un des accusés. Après avoir décliné leurs identités, chacun des accusés à plaidé non coupable face aux charges qui sont retenues à leurs encontre.
En marge de cette première journée du procès, seulement un seul accusé a pu être entendu jusqu’à terme. Quelques heures après le début des interrogatoires, le juge a momentanément suspendu la séance et ensuite, la renvoyée au lendemain vendredi 7 avril 2023 pour cause du décès du doyen Pépé Plégnemou, président de la chambre civique économique et administrative à la cour d’appel de Kankan. Au deuxième jour du procès, après le passage de dame Nakany Konaté, l’ex- Chef du quartier de Salamani Kabinet Touré Alias Cafu, les prévenus ont continué à se succéder à la barre afin de se prêter aux différentes questions des jurés. Ce deuxième jour de procès a été marqué par la comparution tant attendu d’Ousmane M’bia Kaba, président du Mouvement « Pas courant pas dort ». Comme ces coaccusés l’ayant précédé à la barre, le jeune militant anti délestage poursuivi particulièrement pour des faits de “provocation directe d’un attroupement non armé, complicité de destructions et de dégradation des biens public”, a plaidé non coupable. Tout au long de son interrogatoire face au procureur de la république le jeune leader s’est illustré à travers des réponses qui rappelle un certain Toumba Diakité. Pointé comme l’un des principaux provocateurs des actes de vandalismes qui ont émaillé les manifestations nocturnes du 27 et 28 mars derniers dans la commune urbaine de Kankan, il réplique : ” Non. Le mouvement Pas courant pas dort, dont je suis le président avant toutes nos manifestations, nous écrivons d’abord à la Mairie, et en plus nous ne faisons jamais de manifestation durant la nuit ” , a-t-il martelé. Poursuivant son interrogatoire le procureur Daouada Diomandé réplique à son tour” si ce n’est pas vous, alors qui sont ceux qui étaient dans la rue. Sachant que c’est vous qui disiez ‘’pas courant pas dort’’ et effectivement durant les nuits du 27 et 28 mars nous avons pas dormi”. En réponse, le jeune activiste a indiqué qu’ il ne le sait pas” tout en faisant savoir que ces émeutes nocturnes se sont déclenchées de façon spontanée. “Pas courant pas dort est l’un de mes surnoms. C’est un slogan que j’ai créé en tant que leader pour accompagner notre lutte légitime pour demander la meilleure desserte du courant électrique pour l’ensemble des citoyens de Kankan, même ceux qui nous combattent. Pas courant, pas dort ne signifie pas la violence, ça veut dire que quand il n’y a pas courant, nous ne pouvons pas dormir à notre aise “, a-t-il expliqué. Alors qu’il est aussi accusé en plus d’un autre le dénommé Kabinè Touré dit Cafu, même si cela ne figure pas parmi les charges qui sont retenu à leur encontre, de tentative d’extorsion au dopage de la famille du chef de l’État, il explique que ” au fait nous notre mouvement avait projeté une manifestation et c’est dans la foulée que le directeur national d’EDG est arrivé à Kankan. Il a demandé à ce que je vienne à une réunion qu’ils avaient à la préfecture. Il a promis que durant ce mois de ramadan, toute la ville aura le courant désormais de 18 heures à 6 heures. Il est même parti l’annoncer sur les ondes d’une radio privée de la place. Voilà comment nous avons annulé notre manifestation. C’est en ce moment aussi que des gens ont commencé à dire que nous avons perçu 60 millions de la part de la mère du président pour annuler ladite manifestation. Ce qui est archi faux”, s’est-il défendu. A l’issue du troisième jour du procès le mardi 11 avril 2023, aux environs de 17 heures 30 minutes, a débuté la phase des plaidoiries et réquisitoires. Prenant la parole le procureur Daouda Diomandé a requis 3 ans de prison ferme et une amende de 1 millions contre les 5 principaux accusés dans cette affaire, à savoir Ousman Mbia Kaba, président du Mouvement pas courant pas dors, Ousman Diakité dit Kônô, Jean Kaba et Nakany Konaté et Kabinè Touré dit Cafu, tous poursuivis pour des faits de complicité de destruction et de dégradation de lieux et de biens publics, attroupement non armé, entrave à la saisine de la justice et abstention délicieuse. De leur côté, les avocats de la défense ne sont pas restés inertes devant ce lourd réquisitoire du parquet. Au contraire, dans leurs plaidoiries, ces derniers ont laissé entendre que :
« Nous avons constaté que le procureur veut la tête de nos clients à tout prix. Sinon qu’il a été incapable de brandir la moindre preuve pour incriminer nos clients. Il est venu avec des images, nous les avons vues, mais pas contre nous n’avons vu aucun de nos clients sur ses photos en train de détruire quoi que ce soit comme il le prétend. C’est pourquoi en retour, nous avons plaidé non coupable pour la totalité de nos clients, tout en demandant au juge de les rétablir purement et simplement dans leur droit en les relaxant », a indiqué Maître Ibrahima Khalil Kanté, l’un des avocats de la défense, à la sortie d’audience.
A noter qu’à l’issue de toutes ces réquisitions et plaidoirie le juge a décidé de renvoyer de nouveau cette affaire au jeudi 13 avril pour rendre public le verdict final. Ce procès contre les jeunes manifestants anti-délestage, a connu son épilogue le jeudi 13 avril 2023. Dans son délibéré, le juge Cheikh Ahmed Tidiane N’diaye, a condamné 4 des 5 principaux accusés de cette affaire. Le plus célèbre des prévenus, Ousmane M’bia Kaba, président du mouvement pas courant pas dors et 2 de ses coaccusés, Bangaly Jean Kaba, Ousmane Diakité dit Kônô, ont été reconnu coupable des faits de complicité de destruction, de dégradation de lieux et biens publics, attroupement non armé et pour la répression ils ont écopé d’une peine d’1 an et 6 mois d’emprisonnement ferme et au paiement d’une amende d’1 millions de Francs guinéens. Pour sa part, Nakany Konaté, la seule dame comparaissant dans ce procès a été déclarée non coupable ainsi que 6 autres accusés à savoir Aboubacar Sidiki Diané, Ousman Keita, Naby Moussa Dramé, Mamady Condé, Thierno Sadou Barry et Mamadou Barry, poursuivis pour les mêmes faits, ils ont tous bénéficiés de la relaxe pour délit non constitué. Quant à l’ex chef du quartier Salamamyda Kabinè Touré dit Cafu, il a été également reconnu coupable par le juge des faits d’entrave à la saisine de la justice et abstention délicieuse qui l’a ensuite condamné à 1 an d’emprisonnement dont 4 mois ferme et 8 mois à sortir de souris et au paiement d’une amende d’1 million de francs guinéens. En ce qui concerne le cas du jeune prévenu Mohamed Lamine Baldé qui s’est avéré être âgé de seulement 16 ans, le tribunal s’est déclaré « Incompétent ».Enfin les prévenus, Sékouba Camara, Morinkè Kaba, Abdoulaye Barry, Souleymane Sanoh, Adama Condé, N’famoussa Kaba, Kalagba Goulouboye, Mamoudou Tounkara, Karamo Mohamed Kaba, Ibrahima Sory Keita et Aboubacar Diawara, ont tous été reconnus coupables pour des faits de destruction, dégradation d’édifice publics et participation à un attroupement non autorisé puis condamné à un an de prison assorti de 6 mois de sursis et au paiement d’une amende de 500 milles francs guinéens. Au sortir de la salle d’audience c’était de la consternation totale qui se lisait sur le visage des parents de tous les prévenus condamnés qui se lamentaient dans la cour du tribunal en scandant des propos austères à l’encontre du procureur Daouda Diomandé. Justement le chef du parquet s’est pour sa part dit : « très satisfait de ces différentes décisions prononcées par le tribunal. Car cela servira de leçon à ces jeunes qui se croient tout permis à Kankan », a-t-il martelé. De leurs côtés, les avocats de la défense ont promis tout simplement d’interjeter appel car selon eux : « Cela ne nous surprend point. C’est une consternation totale. Ce à quoi nous venons d’assister, est tout sauf de la justice. Mais au final, nous concluons que les conditions d’interpellation de nos clients ont abouti à leur condamnation. Depuis le premier jour du procès, on a tous compris que les gens ont été arrêtés sur la base d’une liste qui serait venue de Conakry et les décisions publiées, j’avoue qu’elles sont également préalablement établies et venues de Conakry. Donc ne pas interjeter appel serait une manière pour nous de nous associer à cette injustice. », se sont fendus conjointement les avocats de la défense, les Maîtres Ibrahima Khalil Kanté et Mamady Doumbouya à leur sortie de la salle d’audience. A ce jour, ces jeunes activistes condamnées se trouvent encore en détention dans les geôles de la maison centrale en dépit de l’implication des sages de la ville qui ont plaidé à maintes reprises en faveur de leur libération. Quant à l’ouverture d’un autre procès en appel comme exigée par la défense, elle peine à être effective car jusqu’au moment où nous envoyons cet article, aucune date n’a été fixée par les autorités judiciaires.
Karifa Kansan Doumbouya depuis Kankan, pour lerenifleur224.com